Critique

 

Catherine Muller de Schongor

 

Petite fille d'un Artiste Peintre, restaurateur au Musée du Louvre et fille de de mère tchèque, l 'Artiste à reçu une solide formation aux Beaux - Arts de Caen où elle y est rentrée en 1967 et préparé un Diplôme National en gravure avec le professeur et graveur Mr Gautier. Celui-ci l 'a particulièrement remarquée ( au point de la faire exposer dès sa deuxième année ). Celui-ci, par sa compétence ( graveur de timbres au burin ), sa pédagogie et sa passion pour l 'estampe et les différentes techniques assez difficiles à maîtriser, a su la conseiller.

Ce fut une grande aventure pour elle.

Infatigable, quand elle travaille la gravure, « Catherine , est un tempérament à aimer la résistance » lui a t 'on dit.

Professeur d'Arts Plastique à mi-temps, cette Artiste a toujours cherché des modes d 'expression différents et inventé de nouvelles techniques de gravure. Une prodigieuse créatrice de formes, de rythmes et de couleurs qui témoignent de sa créativité. Passionnée et romantique, elle témoigne de cette recherche patiente et de cette énergie qui lui sont propres et a atteint une belle maîtrise formelle.

Elle a acquis la maîtrise de différentes techniques et nous révèle un désir profond de témoigner de ses propres émotions, d' en dépasser les premiers élans, pour en développer mouvements, matérialités et émergences en s 'inspirant des reliefs du fond des océans et de ces organismes vivants, toujours en mouvement, donnés à voir dans leur originalité, leur étrangeté.

Expressionniste , pourrait-on dire d 'elle, elle sait arracher à la matière et aux formes , aux stries et aux structures, ce qui fait sens, accroche et ce qui séduit et bouscule.

Et c 'est en travaillant avec diverses techniques de gravures, telles que, eau forte, manière noire, burin, gaufrage , sur cuivre, bois ou zinc, ( elle utilise même le découpage de plaques ) qu'elle fait émerger, pourrait-on dire, cette œuvre au noir, cette fonction créatrice du chaos ( le jeu des noirs et des blancs ).

Elle est allée ainsi, sur les chemins de la découvertes d'elle même et de ce monde fait de matière qu 'elle interroge régulièrement.

«  Echappée belle », «  Noce », «  Métamorphose », « La terre , une promesse à la bouche », les «  Annélides » illustrent cette recherche d'une extériorisation et d 'un équilibre dans ses œuvres, si proche du frottement des matières, des creux et des pleins, des aplats et des reliefs, révélés par la lumière, la composition et les rythmes. Toujours attentive aux moindres variations des nuances et des vibrations ressenties...

Baudelaire lui-même, parlait de cette intelligence à la fois contemplatrice et active, comme « faite de pleine lumière puisée au foyer saint des rayons primitifs ».

Elle a gagné plusieurs Prix comme celui de la ville de Bayeux. Et celui du salon Baron Gérard. Exposition aux USA. Et de 1969 à 1990, elle exposa d 'autres gravures. Elle a participé à la Biennale de Cherbourg  avec «  Masse Cosmique » .

Elle repris alors la peinture à laquelle elle avait été initiée aux Beaux Arts par Mr Henri Thomas ( 1er Prix de Rome ) et commence la sculpture des 1990.

«  Les chemins imaginaires », œuvre peinte, ( acrylique , huile et collages ) fait partie de toute une série d 'œuvres, réalisées avec magnificence, qui ont fait l 'objet de plusieurs expositions ( au Centre Art-Cadre, au Musée Yvonne Guégan …etc ).

Elle travailla très tôt avec des «  enduits et techniques mixtes ».

Elle aime nous rappeler son attrait pour les murs vieillis et veinés, les reflets ocres accrochant la lumière.

On y ressent  : nostalgie et espérance, absence et présence, et parmi ses oeuvres  ( Murmures , Passage  et Hautes herbes ), l 'obsession du temps .

C'est «  une mise en évidence , dans l 'expérience picturale, de l' expression du mouvement et de la technique employée » affirme t 'elle.

Par collages et utilisation de différents matériaux, elle aime « aller à l 'essentiel ». Parmi les autres inspirations et expressions de l 'Artiste, retenons aussi, les thèmes de l'absence et de la présence ...

Revenue d 'Australie, en 2015, ( le temps du rêve chez les Aborigènes ), enthousiasmée par les paysages et les couleurs de la terre, elle créa des compositions en ocre et rouge. Dans «  le Chant des Pistes » ,( titre inspiré du livre de Bruce Chatwin ) et la série des Tropiques , elle utilise par exemple, colles et plusieurs variétés de sable . Dans son atelier même, elle collectionne terres et sables de tous récupérés au cours de ses voyages.

On ne peut que rester sensible à cette démarche qui nous rappelle le « restez fidèle à la terre » de Nietzche ( l 'un de ses derniers mots ). Nous pourrions aussi évoquer cette philosophie existentialiste et naturalistique. ancrée dans ce que l 'on pourrait appeler, l 'enracinement. «  Vivre un lieu, c 'est entrer en contact avec lui » formulait Keneth White dans sa Géopoétique.

Palette aux dominantes chaudes, quand elle peint ou sculpte, elle sait faire référence aux anciens . Il lui arrive d'admirer la force qui se dégage des œuvres d 'un Michel Ange, de la poésie de Zao Wou-ki, ou de la maîtrise d 'Hasegawa, et de l 'envolée fugitive et dynamique presque musicale de la gestuelle chez Weisbuch. ( Graveur ).

Elle a réalisé une stèle ( sculpture monumentale ) du souvenir à Bretteville L'Orgueilleuse en juin 2004. Et une autre œuvre avec la société CMEG.

D' autres créations ont vu le jour : stabiles et mobiles , en utilisant pierre, granit , bois ( deux totems ) et métal ( elle a appris à souder ).

Les autres réalisations de l 'Artiste, en général, sont très diversifiées ; dessins, affiches , logos , illustrations, carnets de bord et fresques, illustrent sa grande capacité à s'ouvrir au monde. Le travail à la cire selon elle, rendrait la peau ( le cuir ) plus «  tannée » et les gaufrages ( titre : le souffle du vent ) formeraient ces reliefs particuliers, une façon autre de recevoir une lumière différenciée et désignés d 'ailleurs par elle même comme « des capteurs solaires ». On peut déceler ainsi, chez cette Artiste une belle ouverture en des champs divers qui oscillent entre le naturalisme, l' abstraction, le fantastique et aussi le symbolisme.

Osons même faire quelques rapprochements. Dans la personnalité de cette Artiste, il y a comme une certaine résonance avec l 'époque baroque , ( dans le roman comme dans la peinture ) qui s 'ouvrait à un monde sans limite ( le voyage étant sa structure fondamentale ), en privilégiant l 'expression de l 'individu ( par le biais de la quête individuelle par exemple ). Ce mouvement fut d'ailleurs, précurseur de l 'époque romantique et de la modernité ( où l 'artiste était amené à devenir, témoin de son temps ).

Ses propres compositions qu'elles soient en noir et blanc ou en couleur dans leur organisation, révèlent certaines modulations comme en prose ou en poétique, par les effets de matière et de lumière, le tout s 'agençant de manière à faire entendre le chant secret de l 'inspiration et ses récurrences rythmiques où l 'émotion et le ravissement viennent y jouer leur partition.

 

Côté  « prose cadencée », gravée et peinte, et mise en relief, tout prend davantage de visibilité et de matérialité s 'offrant ainsi à notre sensibilité interpellée.

Constatons: comme un flux que rien ne pourrait arrêter, l' Artiste ébauche et rythme ses gestes au contact des matières, supports et matériaux.

Par l 'usage de divers outils ( fourchettes , bois , éclats de métal ..etc ) elle redécouvre l 'importance des reliefs et des traces. En ceci, elle fait preuve d une aisance et d 'une grande créativité.

Toujours prête à vous faire découvrir son bel atelier avec ses deux presses à gravure, ses essais accrochés aux murs, ses recherches et sculptures dans le petit parc animé par quelques présences insolites .

Chercheuse, assurément et exploratrice, dirons-nous, imaginant de nouveaux mondes, pour les mettre à notre portée , elle se définit comme une Artiste complète.

Grande marcheuse, toujours s' exerçant à l' observation, elle nourrit régulièrement son imaginaire. Et inspirée elle a écrit deux romans : « Dune » et « Cinglante Compostelle ».

Séduits, accaparés, face à toutes ses œuvres et en oubliant les heures, nous nous retrouvons en étroite relation avec ce qui vibre, bouscule, respire, éclabousse, brille, éclaire ou élève... Et, reconnaissons le, on ne peut plus être comme avant, après avoir rencontré cette Artiste chaleureuse.

Admiratrice de Borowsky, relevant certaines réflexions pertinentes de Montaigne et de Michel Onfray, elle aime aussi nous rappeler ailleurs l 'audace des «  chevaux de Feu » de l'époque fauve.

Souvent prête à « s 'enflammer » pour quelque raison esthétique ou psychologique voire spirituelle et cosmique ( au sens large) elle semble cheminer sur les hauteurs avec ses créations, balancée entre l 'invisible cohérence de sa sensibilité et la visible organisation de la matière du monde. Elle sait faire face à cette réalité en la rendant objective et palpable.

Nous n 'avons pas à conquérir l 'univers, semble t 'elle nous dire, dans ses œuvres parce que nous le portons en nous, dans notre corps émotionnel et physique jusqu'aux moindres cellules et dans notre propre psychisme ( microcosme et macrocosme ).

L 'imagination elle même, en « relèverait » quelques résonances et traces, et notre conscience «  en émoi », organiserait à elle seule, un ensemble organisé, nous permettant de vivre, ( et de survivre intelligemment , cela va de soi ) cette co-temporalité dans cette humanité en pleine recherche d 'elle-même.

En projetant sur le monde des apparences, cette passion, cette lucidité, l 'Artiste nous ouvre la voie de l 'expérimentation, et celle aussi du ravissement. Au delà de la matérialité, peut-on dire, en pleine action et exploration, elle semble avoir gardé la sensibilité de « l 'âme slave ». Du concret à l 'abstrait et inversement, il nous est donné à voir, en fait, toute une fresque se rapprochant d'un genre plutôt « expressif et flamboyant ».

Ce feu intérieur qui lui fait peindre cet homme évoluant dans l 'espace et semblant prendre élan vers le ciel, tel Icare, nous confirme aussi dans cette évolution et cette aspiration au dépassement. Cette recherche de l 'embrasement, nous invite à transcender une réalité qui pourrait sembler parfois morne ou terne.

Plus vraisemblablement, ses propres œuvres nous apprennent, en quelque sorte, à réorganiser notre vision, à nous éloigner de nos préoccupations en laissant notre imagination évoluer dans cet « éternel présent » de la délectation visuelle, tactile voire auditive .

Catherine Muller de Schongor n 'a rien d 'une Artiste ordinaire. Sa parole est affirmée et assurée . Elle a le cœur chaleureux, les mains laborieuses et le geste bienveillant.

Mais ne nous méprenons pas. Si elle interroge le monde, c 'est aussi pour nous faire partager sa passion, où tout est, comme dans ses œuvres et dans la vie elle-même,  « passage, émulsion, convulsion, et mouvement ». En quelque sorte, elle nous invite à nous rapprocher de ce qui est révélé, par la réalité plastique de ses créations : une belle initiative, en fait.

On pourrait même dire que rien n 'est inscrit définitivement dans nos gènes, que tout est possible en l 'instant  même, comme s 'autoriser à changer sa propre manière de vivre, de voir, de toucher, d'imaginer autrement et autre chose. Comme le disait Thierry Gaudin ( dans L'Ecole des Silences ), «  il faut retrouver le plaisir de l 'enchaînement des possibles » .

Et en cela , cette Artiste nous a convaincus et séduits. Un bon tempérament à découvrir à travers ses œuvres. Une Artiste qu'on aimerait voir dans les grands salons internationaux.

 

Chris Canter-Briens ( Critique d 'Art )

 

Septembre 2019